Plateformes : des salariés déguisés ou des travailleurs ubérisés ?
Depuis dix ans, la multiplication des plateformes a fait rêver les salariés déçus du salariat. Ces travailleurs, appelés collaborateurs, sont à leur compte, autoentrepreneurs pour la plupart. S’ils sont officiellement indépendants, ils sont en réalité très peu autonomes et peu rémunérés…
Il y a depuis quelques années une prise de conscience de leurs conditions de travail dans l’opinion publique, répercutée en politique suite aux différentes manifestations des chauffeurs ou livreurs.
La crise du Covid-19 rend encore plus flagrant la fragilité de leur statut, l’absence de mesures de protection alors qu’ils continuent d’exercer leur activité de chauffeur ou livreur et sont confrontés à un risque de contamination d’un virus dont la dangerosité n’est plus à démontrer.
Les législations des pays européens se sont emparées du sujet, tout comme les tribunaux, devant lesquels il y a énormément de procédures en cours actuellement. Entre salariat et indépendant, peut-il y avoir un troisième statut ?
La position jurisprudentielle : requalification en salariat
L’enjeu des procès actuels porte sur la requalification des contrats conclus avec les plateformes. Celles-ci opèrent un report des risques sur ces travailleurs indépendants et en même temps leur imposent des contraintes, exercent des contrôles sans accorder les droits et protections accordés aux salariés.
Si les plateformes se croient protégées par l’article L8221-6 du Code du travail, qui institue une présomption de non-salariat à l’égard des personnes inscrites sur les différents registres et répertoires professionnels, les récentes décisions judiciaires ont conclu à l’existence d’un lien de subordination sur la base d’une analyse circonstanciée des relations de travail entre les plateformes et les salariés concernés.
Ainsi, dans un arrêt Take it easy du 28 novembre 2018 (n° 17-20-079), un coursier intentait une action en requalification de son contrat de prestation de service : la cour d’appel a été sanctionnée parce que, ayant relevé que la plateforme disposait d’un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier, du nombre de kilomètres parcourus, et qu’elle disposait d’un pouvoir de sanction à l’égard du coursier qui ne se connectait pas suffisamment sur la plateforme, elle aurait dû en conclure à l’existence d’un lien de subordination.
Pour la Cour de cassation, la plateforme exerçait donc toutes les prérogatives d’un employeur, considérant la société Take it easy comme une véritable entreprise de livraison à domicile et non un simple entremetteur.
Dans un arrêt du 10 janvier 2019, la cour d’appel de Paris a suivi l’impulsion donnée par la Cour de cassation en reconnaissant à un chauffeur Uber la qualité de salarié à partir d’un faisceau d’indices suffisant pour caractériser le lien de subordination dans lequel il se trouvait lors de ses connexions à la plateforme Uber, renversant ainsi la présomption de non-salariat (arrêt n° 18/08357).
Sur pourvoi de la société Uber, la chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt très motivé du 4 mars 2020 n° 19-13.316, va plus loin encore que l’arrêt de 2018, puisqu’elle approuve la cour d’appel de Paris d’avoir retenu la qualification de salarié à ce chauffeur Uber, alors même qu’il n’a reçu aucune injonction pour se connecter sur la plateforme, et qu’aucune sanction n’existe en cas de déconnexion trop longue : c’est le travail au sein d’un service organisé qui est retenu comme critère.
L’enjeu financier est énorme pour les plateformes, compte tenu des risques de condamnation en masse pour travail dissimulé, amendes pénales, redressement Urssaf, paiement des sommes liées au contrat de travail et remboursement des cotisations sociales…
La société Uber comme d’autres plateformes vont devoir