Les Pages du Barreau Grenoble

Les marchés publics et l’inflation des prix

L’épidémie mondiale de Covid-19 et la guerre en Ukraine ont bousculé les cours mondiaux de nombreuses matières premières et marchandises. Les conditions d’exécution financière des marchés publics n’ont pas été épargnées par cette situation.


L’INTANGIBILITÉ DU PRIX DES MARCHÉS PUBLICS

Le montant auquel a été attribué un marché public est par principe « définitif », selon le terme de l’article R. 2112-7 du Code de la commande publique. Cette intangibilité du prix a deux raisons principales. En premier lieu, comme tous les contrats, un marché public engage les parties dans toutes ses composantes, y compris sa dimension financière. Aucune modification unilatérale n’est donc possible. En second lieu, la fixité du prix est un gage du respect de la mise en concurrence ayant conduit au choix du titulaire. L’ensemble de la procédure perdrait tout son sens, si les parties pouvaient à l’envie modifier le montant sur lequel les offres ont été jugées. Ainsi, même avec l’accord de l’acheteur public et du titulaire du marché, il est illégal de modifier seulement le prix d’un marché. Une augmentation du montant ne peut être que consécutive à une modification du périmètre des prestations.

Malgré cette intangibilité, il s’écoule souvent de nombreux mois entre l’offre de prix faite un candidat et le moment où il sera payé. C’est évident pour les marchés à exécutions successives, dits à bons de commande, qui ont une durée de plusieurs années. Mais la problématique existe également pour les marchés ponctuels comme les marchés de travaux, notamment en raison de la durée de la mise en concurrence et de la règle du service fait imposant de payer uniquement après la réalisation de prestation. Or, durant ce delta de temps les cours mondiaux des matières premières peuvent s’envoler, impactant nécessairement les marges des entreprises si elles ne peuvent pas répercuter ces augmentations sur leur prix.

LES CLAUSES CONTRACTUELLES DE VARIATIONS DES PRIX

Si le montant d’un marché public est intangible, deux mécanismes sont prévus pour assouplir ce principe. L’article R. 2112-11 du Code de la commande publique impose que le prix soit actualisé s’il s’écoule plus de trois mois entre la date de remise des offres et le début des prestations. Cette actualisation est unique et vaut pour le reste de la durée du marché. L’article R. 2112-13 du même code rend lui obligatoire la révision des prix pour les marchés d’une durée supérieure à trois mois et « dont le prix est directement affecté par les fluctuations de cours mondiaux ». À la différence de l’actualisation, la révision s’effectue de manière régulière selon une périodicité fixée par le marché. Sur ce point la fiche de la direction des affaires juridiques du ministère de l’économie (DAJ) sur « les marchés publics confrontés à la flambée des prix et au risque de pénurie des matières premières » indique que « Le rythme de la révision devra idéalement être fixé en fonction du rythme prévisible des fluctuations des prix de l’activité économique concernée » et « il convient d’éviter l’application systématique d’une échéance annuelle ».

Si les clauses de variation des prix sont obligatoires dans certains cas, rien n’empêche les acheteurs de les prévoir pour les autres marchés. Une récente circulaire du premier ministre en date du 30 mars 2022 « relative à l’exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières » contient un titre relatif à « L’insertion d’une clause de révision des prix dans tous les contrats de la commande publique à venir ». Au-delà du volontarisme affiché, le contenu même de la circulaire est décevant, puisqu’il rappelle seulement les obligations légales en matière de révision.

Toutefois, les clauses de variation de prix ne sont pas la solution miracle. En effet, elles contiennent des formules mathématiques, parfois complexes, qui entraînent de réelles difficultés pour les entreprises se retrouvant à gérer autant de formules différentes que de marchés publics. De surcroît, il existe également un décalage entre le moment où les cours mondiaux augmentent et le moment où cette augmentation se reflète dans les indices de prix utilisés par les formules de révision ou d’actualisation. À cela d’ajoute le fait que le choix des indices par l’acheteur public n’est pas toujours le plus adapté. Il en résulte que l’augmentation consécutive à l’application d’une formule de variation de prix est souvent décevante et ne représente pas l’augmentation réelle des coûts. Dans le but de maximiser les effets des formules de révision, la circulaire du 30 mars 2022, incite à effectuer celle-ci sur la totalité du prix du marché. En effet, il était d’usage dans de nombreux marchés de prévoir que la révision, ou l’actualisation, ne porterait que sur une certaine fraction du prix.

LA THÉORIE DE L’IMPRÉVISION

Les évolutions brusques des prix, en particulier ceux liés à l’énergie, ne sont pas une problématique récente dans les contrats administratifs. Ainsi, lors de la Première Guerre mondiale, les entreprises gérant l’éclairage public ne pouvaient plus faire face aux augmentations du coût du gaz, tout en maintenant les prix initiaux des contrats. Pour éviter des faillites en chaîne, et maintenir un service indispensable aux collectivités publiques, le Conseil d’État a eu recours à la théorie de l’imprévision (CE 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux, n° 59928). Ce principe est aujourd’hui codifié au 3° de l’article L. 6 du Code de la commande publique, celui-ci indique que : « lorsque survient un événement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l’équilibre du contrat, le cocontractant, qui en poursuit l’exécution, a droit à une indemnité ».

Toutefois, l’imprévision n’a pas vocation à s’appliquer à toutes les variations de prix. Pour que le titulaire d’un marché puisse être légitime à demander une indemnisation, l’équilibre du contrat doit être mis en péril. Ainsi, il n’est pas possible d’invoquer une simple diminution de la marge (CE 25 novembre 1921, Compagnie générale des automobiles postales), ni même une disparition totale du bénéfice (CE 4 octobre 1961, Entreprise Charlet). L’indemnité versée au titulaire ne pourra en tout état de cause couvrir la totalité …

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rédigé par Me Antoine Angot